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Le ministre Dubé s’engage à prendre connaissance du dossier CPC pour ensuite se prononcer

Les réactions se multiplient dans le dossier de la CPC. Le CRMCC confirme que cette réforme de l’éducation médicale ne repose sur rien d’autre que sur ce que les experts ont déjà jugé insuffisant dans un rapport dévoilé par Le Devoir. Quant au CMQ et au ministre Dubé, ils disent vouloir prendre connaissance du rapport pour ensuite se prononcer. À lire dans cet article de Profession Santé.

PROFESSION SANTÉ

20/09/2022

Formation des médecins par compétences: une analyse apporte de l’eau au moulin de la FMRQ

Selon un groupe d’experts en éducation, l’implantation de la pédagogie axée sur le développement des compétences pour former les médecins spécialistes au Canada s’est faite en dépit du bon sens scientifique.

Par Geoffrey Dirat

Baptisée la compétence par conception (CPC), la nouvelle méthode d’enseignement de la médecine aux résidents, déployée depuis 2017 par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada (CRMCC), vient d’essuyer de nouvelles critiques. Elles sont formulées par quatre spécialistes de l’éducation qui affirment que la CPC «n’a pas suivi un processus rigoureux exemplaire et qu’elle n’est pas appuyée sur les données probantes de la recherche scientifique, ni en pédagogie générale ni en pédagogie médicale».

Les auteurs de l’Analyse critique d’un changement de paradigme pédagogique dans le cadre de la résidence en médecine au Québec, un document de 108 pages daté de septembre 2022, enfoncent le clou en estimant «que le monde médical canadien et québécois, en adoptant [cette méthode pédagogique], s’est éloigné des données probantes, de la rigueur nécessaire et de la prudence consciencieuse dont il fait habituellement preuve à l’égard des innovations médicales».

Cet avis négatif sur la formation des médecins spécialistes émane du consultant en pédagogie Christian Boyer, de deux professeurs du Département de l’éducation de la TELUQ, Steve Bissonnette et Frédéric Morneau-Guérin, ainsi que du philosophe et andragogue Normand Baillargeon qui, au départ, avait été approché par la Fédération des médecins résidents du Québec (FMRQ) afin d’avoir son avis sur cette méthode d’enseignement.

«La FMRQ nous a mis sur la piste, mais n’a pas financé notre analyse. Nous l’avons menée en toute indépendance», précise Christian Boyer, en entrevue avec ProfessionSanté.ca.

Au final, les quatre auteurs vont dans le même sens que la FMRQ qui dénonce cette réforme de l’enseignement de la médecine, et ses effets négatifs, depuis 2018. Dans son Bilan de l’an 4 de la «Compétence par conception», publié en août dernier, la Fédération se demande ce qu’elle retient de ce modèle d’apprentissage après quatre années de mise en place. «Un bénéfice pédagogique absent. Une charge cognitive et émotionnelle augmentée. Un effet délétère sur la santé mentale et l’apprentissage des médecins résidents. C’est simple: le modèle d’implantation actuel ne fonctionne pas. (…) La [CPC]  semble avoir été introduite de manière précoce et inachevée et les cobayes qui payent pour ces ratés sont nos médecins résidents.»

Ce sentiment d’improvisation est confirmé par Christian Boyer. «Ce changement de méthode pédagogique n’a aucun fondement scientifique et n’a fait l’objet d’aucun suivi rigoureux. Est-ce que la formation est plus efficace aujourd’hui? On ne peut pas le savoir», déplore le consultant qui ne s’attendait pas à une telle absence de rigueur «alors qu’il n’y pas plus rigoureux que la démarche d’un médecin». 

Selon lui et ses collègues, le CRMCC aurait dû implanter sa réforme progressivement, à l’aide de projets pilotes, afin de pouvoir ensuite l’adapter en menant des observations scientifiques sur le terrain. «Normalement, quand on élabore un programme de formation, on expérimente et on mesure ce que l’on veut changer. Le Collège royal est plutôt parti en fou pour tout changer», observe-t-il en regrettant que les autorités médicales et politiques n’aient pas entendu les critiques et les recommandations de la FMRQ.

Le CMQ pointé du doigt

Cette dernière a accueilli les conclusions des quatre pédagogues en publiant sur son site web un texte intitulé «Un débat est nécessaire au Québec sur les rôles et les responsabilités des acteurs de l’éducation médicale». La Fédération y déplore «l’absence de fondements scientifiquement avérés derrière la [CPC]» et considère que «si la responsabilité première de présenter des preuves solides au soutien de cette réforme revenait bien sûr à ses créateurs et promoteurs au CRMCC, il demeure tout de même fort préoccupant que le Collège des médecins du Québec, l’ordre professionnel chargé de s’assurer de la qualité de la pratique médicale, n’ait fait aucune vérification ni aucun suivi sérieux ni avant ni après l’implantation de la CPC».

La FMRQ critique le fait qu’il n’y a eu aucun débat public à la fin des années 1990 lorsque, selon elle, «le CMQ a délaissé d’importantes responsabilités octroyées par le législateur québécois en termes d’éducation médicale, pour les sous-traiter à des organismes pancanadiens qui échappent à tout contrôle démocratique». Elle lance ainsi toute une série de questions: «Est-ce que le CMQ pouvait ainsi “privatiser” une partie de ses responsabilités en matière de formation médicale au Québec? Le CMQ a-t-il procédé à l’époque avec l’aval clair du gouvernement du Québec? Le gouvernement du Québec est-il aujourd’hui d’avis que ces façons de faire respectent les juridictions du Québec en éducation supérieure et en santé?»

Du temps pour répondre

Sollicité par ProfessionSanté.ca pour répondre aux interrogations de la FMRQ, le ministre de la Santé, Christian Dubé, indique, via sa directrice des communications, vouloir «bien prendre connaissance du rapport en premier lieu. Une fois cela fait, nous pourrons davantage nous prononcer».

Idem du côté du Collège des médecins du Québec. «Le rapport concernant la formation par compétence des médecins spécialistes a été publié très récemment. Ce document fera l’objet prochainement d’une analyse par le Collège. Par conséquent, nous ne le commenterons pas publiquement pour le moment», explique la porte-parole du CMQ, Leslie Labranche.

Elle signale néanmoins dans son courriel que «depuis la mise en place de cette méthode pédagogique, nous prenons connaissance sur une base régulière des difficultés et des avantages encourus et en discutons avec les partenaires universitaires, les résidents et le [CRMCC]. Nous participons à l’amélioration de cette méthode pédagogique innovante et axée sur l’acquisition de compétences en mode itératif et adaptée au parcours de l’apprenant». 

S’agissant des critiques émises par la FMRQ, Mme Labranche rappelle que «le détenteur d’un permis régulier au Québec exerce au Québec avec un certificat de spécialiste du [CMQ], et non avec celui d’une organisation pancanadienne».

Quant à l’abandon par le Collège de ses propres examens de certification, il procède, selon la relationniste, d’une volonté d’harmonisation. «L’exemple souvent donné à l’époque était pourquoi un médecin d’Ottawa, s’il voulait pratiquer à Gatineau devait réussir des examens additionnels pour obtenir la certification du CMQ, tandis que le médecin de Gatineau pouvait exercer à Ottawa, seulement avec les examens du Collège royal (CR) ou du Collège de médecins de famille du Canada.» Elle ajoute que «pour ce faire, la formation devait répondre à une seule et unique série de normes. Afin de garantir aux résidents le succès des examens ainsi harmonisés, il fallait que les collèges puissent aspirer aux mêmes normes de formation, aux mêmes méthodes pédagogiques et aux mêmes normes d’agrément».

Le Collège royal se défend

Pour sa part, le CRMCC balaie les critiques des quatre pédagogues en rappelant que la genèse de la CPC s’est étalée sur plusieurs années, en collaboration avec des partenaires, dont des associations de résidents. Cette élaboration s’est appuyée sur «des examens de la mise en œuvre de l’approche par compétences en formation médicale dans des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et les Pays-Bas» ainsi que sur «des projets pilotes menés avec les facultés de médecine de l’Université de Toronto et l’Université Queen’s», indique la responsable des communications du Collège royal, Melissa Nisbett.

«Nous avons adopté une approche itérative, chaque cohorte apprenant de la cohorte précédente afin d’informer la cohorte suivante», précise-t-elle en évoquant une adaptation plus explicite de l’apprentissage et une plus grande souplesse accordée aux résidents. Elle souligne enfin que le CRMCC «collabore avec le CMQ et des partenaires québécois de la formation médicale postdoctorale afin d’améliorer continuellement le programme et de répondre aux préoccupations, à mesure qu’elles sont exprimées», notamment celles concernant l’utilisation des APC «afin de fournir une rétroaction formative aux stagiaires et de réduire les exigences administratives qui les entourent».

La mécanique de la CPC et comment les résidents la perçoivent

La CPC s’articule autour d’un certain nombre de compétences professionnelles, propres à chaque spécialité, que chaque médecin résident doit maîtriser à un haut niveau de performance afin d’obtenir son permis de pratique. À chaque étape de leur résidence, les étudiants reçoivent ainsi une liste d’objectifs d’apprentissage: les activités professionnelles confiables (APC) et les jalons, c’est-à-dire les connaissances, les habiletés, les techniques, mais aussi les attitudes et les comportements sociaux-professionnels que le résident doit acquérir pour obtenir son ACP. 

Chaque spécialité comporte un certain nombre d’APC, de 20 à 50 en général, et le résident doit être supervisé pendant qu’il exécute chacune d’entre elles. Pour attester leurs compétences, les médecins résidents doivent faire remplir par leurs superviseurs des centaines de fiches d’observation et d’évaluation au cours de leur résidence, ce qui nuit à leur santé mentale et exaspère parfois leurs patrons. 

Sondés par la FMRQ, les résidents québécois trouvent en effet que le nombre exigé de jalons (58 %), d’APC (59 %) et d’observations par APC (73 %) est excessif. De plus, 71,3 % d’entre eux reconnaissent qu’ils ont tendance à sélectionner des médecins enseignants réputés pour bien remplir les fiches d’évaluation.

Plus de 8 résidents sur 10 estiment que les rétroactions des cliniciens superviseurs sont en fait des «checklists» et regrettent qu’elles contiennent peu de prescriptions pédagogiques, alors que c’était un des objectifs de la réforme. En conséquence, 83,8 % des sondés affirment être encore évalués selon le modèle en place avant l’introduction de la CPC.

Parmi les 4000 médecins résidents au Québec, 3000 étudient dans l’une des soixante spécialités médicales reconnues au Québec. Plus de la moitié d’entre eux sont assujettis à la CPC, qui est implantée graduellement dans les facultés de médecine partout au Canada depuis cinq ans.