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Entrevue accordée à Profession santé sur le PL11 : la FMRQ reste inquiète sur l’usage des données

par Denis Méthot, Profession santé

Même si le ministre de la Santé, Christian Dubé, s’est montré rassurant en commission parlementaire en réitérant que son projet de loi 11 est un projet de loi de gestion et non pas de coercition, la présidente de la Fédération des médecins résidents du Québec (FMRQ), la Dre Jessica Ruel-Laliberté, demeure inquiète sur l’usage des données qui seront recueillies à propos des médecins et de leur pratique. 

«On reste encore avec un certain flou sur la façon dont on va les utiliser», a-t-elle commenté à ProfessionSanté.ca peu après son passage en virtuel devant les élus mardi. «Le projet de loi 11 est court, il parle de gestion. Ce qui nous inquiète, c’est la suite, ce que l’on va faire de ces données-là. Va-t-on vouloir contrôler la pratique individuelle? Ça reste pour nous sans réponse. Oui, on a entendu de belles paroles, mais ce n’est pas écrit formellement à quelque part. Je ne sors pas de là plus éclairée que je ne l’étais, malgré les propos du ministre.» 

Ses craintes ne se sont donc pas envolées face aux explications obtenues lors de la période d’échanges. «Ce n’est ni noir, ni blanc. Le ministre a fait usage de mots clés. Il a dit qu’il ne voulait pas nécessairement contrôler le champ de pratique de chaque médecin et de chaque activité qu’il allait faire». Néanmoins, la présidente de la FMRQ entretient toujours l’inquiétude que les informations recueillies servent un jour à contrôler la pratique individuelle, qu’elles servent à déplacer un médecin d’une région à une autre parce qu’il serait plus utile ailleurs, par exemple.  

«Aller chercher les données ne réglera pas la collaboration interprofessionnelle qu’il faut mettre de l’avant, le support administratif qui est manquant dans les cliniques et ne résoudra pas tous les problèmes de la première ligne non plus», a-t-elle commenté.

Un retour à la loi Barrette?

Dans son mémoire, la FMRQ se demande maintes reprises si le PL11 ne cherche pas à faire revivre la Loi A-2.2, issue de l’ancien projet de loi 20 de 2015 de l’ex-ministre Gaétan Barrette. 

«Ce qui est clair, écrit-on, c’est que les dispositions de la Loi A-2.2 – que plusieurs croyaient mortes et enterrées après la fin de la triste époque des «réformes Barrette» – pourraient être aujourd’hui mise en vigueur d’un simple coup de baguette par le gouvernement, sans même un seul débat avec les parlementaires (…) Quelles dispositions précises de la loi A-2.2, héritée de l’ère Barrette, le gouvernement entend-il faire entrer en vigueur si l’actuelle mouture du projet de loi 11 était adoptée?».

Le ministre Dubé s’en est bien défendu. «Dans votre présentation, a-t-il dit à l’attention de la Dre Ruel-Laliberté, vous avez beaucoup parlé du retour à la Loi 20. Si vous saviez comment ce n’est pas du tout mon intention. C’est vous qui revenez là-dessus, mais je ne veux pas parler de la Loi 20. On a voulu faire un projet de loi qui se concentre uniquement sur l’importance d’avoir des données pour la gestion. Ce n’est pas parce qu’on l’a oublié, qu’on n’a pas parlé de multidisciplinarité et de pertinence: c’est parce qu’on a voulu simplifier ce qu’on a besoin de savoir, s’il manque de médecins, par exemple. Peut-être que les fédérations médicales seraient les premières à tirer profit d’une meilleure information.»

Ce qu’il qualifie de «petit projet de loi» vise à établir des profils de pratique dans une région donnée, s’il y a des pénuries et si on a les bons médecins aux bons endroits. Pour l’instant, a-t-il dit, quand on planifie les PREM à chaque année, on reste dans l’arbitraire car on ne dispose pas de ces informations.  

«Donnez-nous des outils de gestion qui nous permettent d’avoir une meilleure compréhension des besoins dans les régions, a réclamé M. Dubé. On veut aider la pratique. Je serais le plus heureux si on augmentait le nombre de médecins de famille, mais j’ai besoin de données.»

Le ministre a aussi précisé qu’il n’avait jamais fait personnellement de «Docteur bashing». «S’il y en a un qui n’a pas fait de “Docteur Bashing” depuis qu’il est là, c’est moi. Au contraire, je l’ai dit depuis le début de la pandémie, des médecins en font plus qu’on leur en demande. Certains ont fait des miracles depuis deux ans.»

Une perception négative du projet de loi 11

Cette commission parlementaire et les interrogations que le PL11 soulève surviennent alors que les étudiants en médecine doivent faire leur choix de résidence et que plusieurs finissants entreprendront sous peu leur pratique. 

Quand il a été déposé en octobre dernier, le projet de loi avait déjà causé des dommages chez certains finissants, selon la Dre Jessica Ruel-Laliberté. Il a laissé une perception négative liée au fait qu’on tentait de contrôler la pratique des futurs médecins de famille. Elle a rappelé aux élus deux faits qui devraient les inquiéter: des dizaines de postes de résidence en médecine familiale n’ont pas trouvé preneurs ces dernières années et des étudiants en médecine du Québec choisissent d’aller faire leur résidence dans une autre province.  

Les résidents pas rassurés

La présidente de la FMRQ espère que le message qu’elle a transmis a été compris, mais elle n’est pas certaine que les réponses qu’elle a obtenues du ministre vont faire disparaître toutes les craintes des résidents et étudiants au sujet des utilisations possibles des données dans le futur. 

«Les travaux ne sont pas terminés, mais je ne crois pas que nos membres seront rassurés après ce qu’on a entendu aujourd’hui, a-t-elle réagi en entrevue. On va le croire quand on va le voir. Pour l’instant, il n’y a rien d’écrit, rien de formel indiquant que ces données ne seront pas utilisées pour attaquer notre autonomie professionnelle (…). On dit qu’on va nous tendre la main, mais en même temps, on n’a aucun écrit clair par rapport à la manière dont seront utilisées les données.»

La FMRQ souhaiterait le retrait pur et simple du PL11. Sa présidente est toutefois consciente du fait qu’il sera adopté même s’il pourrait avoir un effet négatif sur ses membres. «Nous ne sommes pas dans un échange ou un dialogue, quand on se fait imposer un projet de loi», regrette-t-elle.